Gilets jaunes – la rupture de barrage

bulletin numero 178 - decembre 2018 - janvier 2019


24 décembre 2018


Gilets jaunes – la rupture de barrage

RESISTONS ENSEMBLE - bulletin numéro 178 – décembre 2018/janvier 2019


Gilets jaunes – la rupture de barrage

Les barrages sont, en général, très solides. Et pourtant, de temps à autre, ils cèdent sous la pression des millions de mètres cubes d’eau, bouleversent tout sur leur passage. La France de la Vème République, qu’elle soit dirigée par la gôche ou par la droite est un barrage construit, entretenu par les institutions « républicaines ». Président, élus, partis, parlement, bureaucraties syndicales, armée, flics… Il y encore 2 mois tout allait bien pour l’ex-banquier Macron. Sa loi travail, SNCF… passaient sans grand encombre. Mais telle une fissure qui annonce la rupture d’un barrage, les « Gilets jaunes » sont apparus en toute indépendance des partis et des syndicats et le barrage « républicain » a cédé. Les flots tout puissants de la révolte ont bouleversé le paysage de ce pays. Les « sans-dents » de Hollande, les « derniers de cordée » de Macron ont inventé de nouvelles fraternités, ont fait de la vraie politique en ébranlant les divisons soigneusement entretenues parmi les pauvres et opprimés, entre les villes et les campagnes, les centre-villes et les quartiers populaires...Les lycéens ne s’y sont pas trompés en s’engouffrant dans la brèche.
Le papier mâché des « promesses » de Macron pour renforcer le barrage, a lui aussi été emporté » par ce flot. Les exigences ne cessent de se radicaliser. Les gilets jaunes s’attaquent maintenant aux sites des multinationales comme Amazon ou à la grande distribution. Des revendications, inimaginables il y a encore 6 semaines, surgissent : assemblée populaire à la place de l’Assemblée nationale, RIC dans le but de révoquer Macron et les politicards, certains gilets jaunes veulent une société basée sur des Assemblées populaires à l’image de la Commune de Paris de 1871 (*).
Bien sûr ce flot n’est pas « pur comme de l’eau de roche », mais comment pourrait-il en être autrement quand il y a tout un nouveau monde à construire ? Est-ce que le peuple de Paris qui a abattu la Bastille le 14 juillet 1789 avait un programme clair ? Savait-il que c’était la Révolution française qui avait commencé ? Sûrement pas.
Mais le pouvoir prépare une contre-offensive sous forme d’une « union nationale contre la violence pour défendre la République ». Là-dessus, il peut compter sur le soutien de tous les partis « républicains ». C’est le renforcement de la violence policière et celle de la justice qui en est le ciment, la dernière arme.Cette violence qui s’est déjà déchaînée contre les manifestants gilets jaunes comme lycéens, ce sont maintenant les rondpoints transformés en ZAD qui sont visés. Pourtant « on peut tout faire avec les baïonnettes, sauf s’asseoir dessus" disait Talleyrand au 19ème siècle.
On ne peut prévoir l’avenir, mais le flot ne pourra être définitivement endigué. Rien ne sera plus comme avant. Les terres irriguées par les eaux de la révolte sont fertilisées à jamais.

(*) L’appel des gilets jaunes de Commercy :https://manif-est.info/L-appel-des-gilets-jaunes-de-Commercy-853.html





Les lycéens, « enfants des gilets jaunes »

Les lycéens se sont retrouvés dans l’aspiration des GJ à un monde plus juste et digne et ont décidé, dès le vendredi 30 novembre, de se lancer, eux aussi, dans le combat aux cris de « Macron démission ! ». Le gouvernement a très vite paniqué devant ce mouvement inédit par son ampleur (plus de 700 lycées mobilisés dès les premiers jours), sa durée (pendant près de deux semaines ) et sa géographie : contrairement à d’habitude, ce ne sont pas les lycées parisiens qui ont mené la danse, le mouvement est né dans des petites villes de province ou en banlieue parisienne et a touché les lycées professionnels tout autant que généraux. Rien d’étonnant alors que, face à ces « enfants des gilets jaunes », la répression ait été, elle aussi, d’une férocité inédite. De très nombreux lycéens sont gazés, tabassés, insultés, interpellés et mis en GAV ( accusés sans preuve d’avoir tagué « Macron Démission » comme à Ivry-sur-seine), condamnés par la justice. Les flics n’ont pas non plus hésité à sortir leur flash ball et à tirer blessant parfois très gravement (comme Issam à Garges les Gonesses, Oumar à Orléans ou Doriana à Grenoble). Du côté du ministère de l’éducation nationale aussi, tout a été fait pour que les situations dégénèrent et que les trash médias obtiennent des images de « violence urbaine » visant à décrédibiliser le mouvement. Il a été refusé de fermer les établissements faisant prendre des risques inconsidérés aux personnes et entraînant des dégâts matériels importants : au Blanc Mesnil, l’inspectrice académique dépêchée sur place a assisté au spectacle de poubelles brûlées puis du caillassage de toute la façade du lycée ce qui a provoqué sa fuite en voiture abandonnant sur place l’ensemble du personnel désemparé. L’inspection académique d’Aix-Marseille a pris une disposition visant à empêcher la tenue de toute réunion réunissant professeurs, parents et élèves arguant du fait que toute discussion non cadrée par l’institution sur les réformes, relèverait de la désinformation ; dans les faits, partout, le prétexte de la « sécurité » a été utilisé pour rendre impossibles de telles réunions. Mais, comme dans le cas des GJ, la stratégie étatique et médiatique pour stigmatiser et marginaliser n’a pas fonctionné : la diffusion sur les réseaux sociaux de la vidéo de l’interpellation, filmée par un CRS goguenard, de 151 lycéens de Mantes-la-jolie a constitué un tournant dans la mobilisation. A partir de là, de très nombreux professeurs se sont décidés à passer outre les intimidations et les menaces de sanctions lancées par leurs directions afin d’affirmer leur soutien actif à leurs élèves en se tenant à leurs côtés sur les blocus et en produisant des communiqués dénonçant la répression. Cette vidéo vue des millions de fois sur le net a inspiré des sortes de happenings rituels (consistant à se mettre à genoux les mains derrière la tête en hommage aux 151 interpellés) dans les manifestations. Des collectifs de parents d’élèves se sont constitués pour faire front contre la répression (par exemple « le Front de mères contre la répression policière ») et partout la résistance s’organise. Gageons que les vacances scolaires ne feront pas non plus taire ce mouvement.




La violence légale

Grenades contre manifestants
On se souvient de l’arrivée des flashballs en 2002. Puis les révoltes de 2005, ou encore 2007 à Villiers-le-Bel, et des LDB 40, plus puissants plus précis. Les quartiers populaires ont été utilisés comme laboratoire. On se souvient des mutilations qui ont suivi dans les mouvements sociaux. Aujourd’hui ces armes sont massivement et systématiquement utilisées - on pense aussi aux grenades GLI F4 et autres grenades désencerclantes. Ce dernier mois, L’AP-HP s’est transformé en hôpital de campagne encourageant les hospitaliers à sortir du silence dans une lettre aux gilets jaune (http://aupsante.fr/lettre-des-hospitaliers-aux-gilets-jaunes). « Ces dernières semaines on ne compte plus les mains arrachées, les visages éborgnés, les peaux lacérées, les gens blessés aux parties génitales, les comas, et les morts “accidentelles” ».
Pour le 1er décembre plus de 10 000 grenades ont été tirées sur Paris, 1 040 grenades de désencerclement, 339 grenades GLI-F4 et 1 193 balles en caoutchouc d’après Libération. Le site https://desarmons.net propose un recensement provisoire des blessés graves, pour se faire une idée de la dureté et de l’ampleur de la répression.
De sinistre mémoire
Le 15 décembre une 50aine de policiers circulaient à moto, armée de LDB 40, prête à intervenir. Le retour des « Voltigeurs », brigade de police à deux roues, armés de matraques, qui ont assassiné Malik Oussekine en 1986 ?
Un mort à Marseille
Le 1er décembre, Zineb Redouane, 80 ans, fermait ses volets incommodée par les gaz lacrymogènes, lorsqu’elle a reçu une grenade au visage. Elle est décédée le lendemain « Elle avait eu dix points de suture au-dessus de la lèvre jusque sur la joue côté droit et avait la mâchoire cassée, témoigne sa voisine et amie. Elle disait : “Les policiers m’ont bien visée. Ils ont tiré avec un pistolet, puis ils sont montés dans la voiture et sont partis.” »
« Arrestations préventives »
Le flashball n’est pas la seule arme de la répression. Les forces de l’ordre ont multiplié les « arrestations préventives » visant à dégrossir les rangs des manifestants. Le 8 décembre sur Paris ont eu lieu 1082 interpellations dont 820 GAV. Il s’agissait d’empêcher les manifestants d’atteindre les lieux de mobilisations au seul motif qu’ils étaient équipés de sérum physiologique, de masques, ou simplement jugés « dangereux » par les forces de l’ordre.
Répression judiciaire
C’est dans les tribunaux que se poursuit la répression. Déjà la garde à vue, première privation de liberté, puis la justice d’abattage que sont les comparutions immédiates avec comme chef d’inculpation récurrent : « groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences ». Il suffit d’être un groupe pour avoir la prétendue « intention de », ou encore d’être sur les lieux de la dégradation… pour distribuer des peines en ciblant large. Si le dossier du prévenu est vide, le tribunal se charge de monter son accusation de toute pièce. Vous acquiescez lorsque le juge vous suggère qu’il y avait de la casse non loin de vous et voilà un groupement de plus ! nous explique l’Envolée ; à lire sur http://lenvolee.net/des-gilets-jaunes-face-a-la-justice/
Alors n’oublions pas, en garde à vue on a le droit de garder le silence ; et il faut le faire. Éteindre son portable dès qu’on est embarqués, refuser la comparution immédiate pour mieux préparer sa défense. Des guides circulent sur le net, ex :« Sortez Couvert.e.s » vient d’être mis à jour. À lire absolument https://paris-luttes.info/sortez-couvert-e-s-7928




> chronique de l’arbitraire

Blessés : l’État en ligne de mire
L’Assemblée des blessés, collectif de personnes mutilées par les armes de maintien de l’ordre, a exposé fin novembre sa stratégie pour engager la responsabilité de l’État devant les Tribunaux administratifs (TA) en plus d’"au pénal". 5 plaintes ont ainsi été déposées au TA de Nantes suite à l’évacuation militarisée de la ZAD de NDDL (avril 2018) et après les carnages des manifs gilets jaunes, six autres plaintes (au pénal cette fois) ont été déposées au parquet de Paris début décembre.

Vérité et justice pour Henri
À Fouquières-les-Lens (62), le 28 septembre, Henri, un membre de la communauté de gens du voyage a été abattu par un gendarme du GIGN qui est entré dans sa voiture à l’arrêt et a tiré 3 balles. Henri n’avait aucune arme. Il n’avait pas encore 23 ans et laisse 2 petites filles de 3 et 5 ans (voir RE 176). Depuis, la famille n’a pas été reçue par le juge d’instruction et n’a pas eu accès au dossier. Le procureur l’a reçue assez vite pour tenter de l’endormir en lui disant que le gendarme serait puni (comment ?). Déterminée à réclamer ses droits, la famille appelle à une manifestation le samedi 19 janvier à15 h, Grand-place de Béthune.

Nenad Nikolic, tué lors d’une intervention de la BRI à Villemomble
Le 24 octobre, la police intervient au domicile des Nikolic. Le fils de Nenad a déclaré que son père a cru qu’il s’agissait de voleurs et a pris peur, sauté par la fenêtre et chuté sur un mur se cassant la jambe, les policiers l’ont frappé alors qu’il gisait au sol. Il est décédé à l’hôpital d’une « hémorragie interne ». Les policiers affirment que Nenad se serait défenestré avant leur entrée dans la maison.
Source : https://desarmons.net/index.php/2018/10/31/nenad-nikolic-tue-lors-dune-intervention-de-la-bri-a-villemomble-le-24-octobre-2018/

Répression des cités : Des volées de P.V. !
Museler la population par des pluies d’amendes, briser des vies professionnelles de jeunes hommes qui se retrouvent avec des dettes énormes auprès du Trésor Public, est une pratique courante des BAC et des BST dans les quartiers « à mater »... Les délits sont improuvables (déversement de liquide insalubre sur la voie publique / violation de l’interdiction de fumer dans un lieu public…) et sans verbalisation directe ! Autre spécialité : les « P.V. caniveaux », qui consiste à verbaliser une personne sans lui donner de récépissé, afin qu’elle ne puisse pas payer, avant de recevoir une amende majorée.

Des expertises médicales pour disculper la police ?
L’immobilisation par pliage ou plaquage ventral tue par asphyxie. La justice s’évertue à trouver chez la victime une maladie pour disculper les forces de l’ordre. Dans les jours qui ont suivi la mort d’Ali Ziri, 69 ans, en 2009, et celle d’Adama Traoré, 24 ans, en 2016, le même médecin expert auprès du TGI de Pontoise avait déclaré ces 2 hommes atteints d’une « cardiomégalie », qui aurait été « potentiellement la cause directe de la mort. »
Dans le cas d’Ali Ziri, c’est cette malformation cardiaque retenue en balance avec une anoxie et des hématomes dûment constatés, qui a permis à la Cour de cassation de délivrer un non-lieu aux policiers.
Quant à Adama, il était mourant avant son interpellation par les gendarmes , explique un collège « d’experts ». Montage rétroactif ahurissant qui a permis aux gendarmes d’échapper à la mise en examen, finalement entendus comme simples témoins assistés.
Toutefois l’alibi de la cardiomégalie est apparu au grand jour et Maître Bouzrou, avocat de la famille Traoré a déposé une plainte contre cet « expert ».

De l’air ! De l’air ! Ouvrez les frontières !
Le 13 décembre, le TGI de Gap a déclaré les 7 de Briançon coupables d’aide à l’entrée sur le territoire d’une personne en situation irrégulière. Deux sont condamnés à 12 mois de prison, dont 4 ferme, les 5 autres à 6 mois de prison avec sursis. Tous ont fait savoir qu’ils feraient appel. La lourdeur des peines prononcées marque un tournant dangereux dans la répression des personnes solidaires.