31 juillet 2004


Un "dangereux" fraudeur, accusé de rébellion et de coups et blessures...

À Paris / témoignage


Mardi... 7 h 45, j’arrive dans la station de métro Avron. Je suis au RMI depuis 6 mois et il m’est difficile de vivre avec 2000 francs par mois. Ceci ne justifie pas le geste que j’ai fait mais peu aider à comprendre mon état d’esprit.

Je rentre dans le métro -à l’heure qu’il est, je suis déjà en retard - sans ticket. Bon, il faut que j’achète un carnet. Ai-je du liquide ? Peu importe, je n’ai pas le temps, pour une fois je vais sauter les tripodes.

Voilà, et c’est ce que je fais, j’enjambe les tripodes.

A l’instant où je pose le pied par terre, de l’autre côté au fond du couloir, j’aperçois deux uniformes. Dans mon esprit, je pense que ce sont des contrôleurs de la RATP. Je saute à nouveau par-dessus les tripodes car une amende, c’est au minimum 500 francs, surtout en ce moment, je n’ai pas les moyens. Je vais donc acheter un ticket, comme cela ils ne me diront rien, du moins je le pense.

ARRETE POUR UN TICKET

Je suis donc en train de demander un ticket à l’agent de la RATP qui, bien sûr, est dans son guichet quand je sens quelqu’un me prendre par l’épaule et me retourner violemment. Cette personne me projette contre le guichet et me tient très fortement par le col de ma veste en appuyant son bras sur mon cou. Là, je réalise que ce sont deux gardiens de la paix ! Celui qui me tient me demande mes papiers, je sors très difficilement mon passeport de la poche intérieure de mon blouson car dans la position très inconfortable dans laquelle je me trouvais, cela n’était pas évident. Je donne mon passeport au policier qui me tient, il le regarde et dit simultanément : "Ce matin, il y en a un qui nous a échappé, mais toi je peux dire qu’on te tient".

A ce moment il me faisait très mal, je lui demande de me lâcher, car je n’ai rien fait. Il faut dire qu’il m’est très difficile de parler, car il appuie son coude sur ma gorge. A cet instant, il dit à sa collègue d’appeler des renforts. Je pense que ce n’est pas possible, je dois rêver. Je lui répète : "Lâchez-moi, lâchez-moi, bon sang !". Comme il est plus petit que moi, je bouge et je l’entraîne. Sa collègue aussi me tient, mais je ne sais plus comment. Cette altercation dure peut-être 5 minutes, peut-être plus, mais cela s’est tout de même passé très vite.

Essoufflé, résigné et surtout écœuré, j’arrête de bouger et bien sûr, triomphant, il me passe les menottes et m’attache dans une remise à côté du guichet à tickets. "Il est costaud, ce salaud, dit-il à sa collègue" et il commence à me fouiller. Il prend tous les objets que j’ai sur moi et, d’un air étonné sa collègue le regarde et dit : "Il n’a rien, c’est vraiment pour un ticket de métro".

Un moment plus tard, la meute de ses collègues arrive, ils me montent dans le fourgon. Pendant le trajet mon bonhomme parle avec ses collègues et se plaint d’avoir mal au pouce. Il me regarde en disant : "Tu vois, moi je suis fonctionnaire. Avec le pouce comme je l’ai, je vais me mettre en arrêt, par contre toi, tu vas morfler".

LA NUIT AU POSTE

Arrivés au commissariat Gare de Lyon, ils m’attachent à un banc et mon bonhomme tape son rapport (là, c’est bizarre, il n’a pas mal au pouce). Les heures passent, je reste sur mon banc et tout le monde se moque de moi. Depuis qu’il m’a passé les menottes dans le métro, je ne dis plus rien. En début d’après-midi, ils me mettent dans une pièce isolée, m’enlèvent ma ceinture et mes lacets. Je ne comprends pas ce qui se passe et personne ne m ’explique. Les heures passent.

En cours d’après-midi on m’emmène dans un bureau. On me tend un rapport, c’ est celui de mon bien-heureux gardien de la paix. Il m’accuse de rébellion verbale et de coups et blessures. Ceci n’est que mensonges. Je m’indigne, je le fais savoir, je constate les contradictions dans le rapport. Puis je fais ma déposition. Plus tard, quelqu’un vient me demander si je veux voir un avocat, je dis oui, pour le docteur et les parents, je dis non. Là on me dit que je suis en garde à vue. Vers 19 h, je monte dans un camion-cellulaire.

Puis je me retrouve dans un grand couloir avec d’autres détenus. On nous refouille, nous déshabille, et c’est à ce moment-là que je m’aperçois que mes tibias sont recouverts de sang et que j’ai plusieurs plaies ouvertes. Moi, étant en état de choc, je ne pense pas à le faire remarquer et à voir un médecin. En avais-je le droit ? J’en doute. Puis nous sommes parqués dans une pièce et enfin, en début de nuit, dispatchés dans des cellules.

ARRIVEE DE LA SUBSTITUT DU PROCUREUR ...

Le matin, rassemblement, poids, taille, empreintes, photos, tout y passe. Dans le milieu de la matinée, on me refouille. Un CRS m’amène dans un bureau, m’attache à la chaise. Une femme rentre, je dis bonjour et, avant que j’ai eu le temps de dire autre chose, elle me coupe la parole très durement et me demande de me taire. Elle s’assied, se présente : substitut du procureur.

Elle ouvre mon dossier, regarde simplement l’en-tête du rapport qui m’accable, le referme et dit sèchement : "C’est très grave ce que vousavez fait".

Alors, je commence à lui parler, je sens bien qu’elle se fout complètement de moi, mais je continue, je continue, je continue... et d’un seul coup, elle rouvre mon dossier et enfin le lit entièrement et là, elle constate bien la contradiction du policier : "Oui, votre histoire est obscure, vous avez de la chance, vous êtes relâché jusqu’au procès, mais soyez présent ce jour-là, sinon il y aura des poursuites très graves".

Elle me dit aussi d’un ton sarcastique que j’échappais à un mois de préventive, jusqu’à la date du procès. Ecœuré, j’ai bien compris qu’elle regrettait. En début d’après-midi, je sortais, surpris. J’étais encore dans Paris, devant la Seine, au quai des Orfèvres. Voilà où j’ai passé la nuit.

Dehors, il faisait bon et il y avait du soleil, un bruit de vie. Derrière ses murs, à même pas 20 mètres, c’était le froid sombre, le Moyen-âge, le bruit des portes de fer et le cri des paumés dans la nuit glaciale.

UN PROCES EXPEDIE

Après quelques jours, j’ai fini par savoir que j’avais droit à un avocat commis d’office. J’en ai eu un avec lequel l’entretien s’est bien passé. Je lui ai expliqué mon cas, il a pris note sur un cahier et m’a expliqué que l’ on pouvait faire un bon système de défense, vu la contradiction dans le rapport, le fait que je sois au RMI avec peu de moyens financiers... rendez-vous à 13 h 30 le 13 juillet au tribunal de Paris.

J’arrive à l’heure. Pas d’avocat. Une demi-heure, une heure, une heure et demi passe, personne. J’appelle la greffière, lui explique et vais téléphoner. Enfin, il arrive. Quelques minutes après, je suis appelé à la barre, je m’explique et je vois bien que les trois juges ne me croient qu’à moitié, voire pas du tout. Je jette un œil à mon avocat et j’ai la surprise extrêmement désagréable de voir qu’il tient à la main la feuille de brouillon de notre entretien, et bien sûr, tout va de pair, il ne me défend pas, il répète exactement ce que je viens de dire sans aucune plaidoirie. Fin de séance.

Je sors dans le couloir avec lui. Il m’explique qu’il ne peut pas attendre et m’annonce que je n’aurai sûrement qu’une amende. Il me tend la main et rajoute "Au revoir et à la prochaine fois". Quelle prochaine fois ? Je n’ai pas l’intention qu’il y ait une prochaine fois. Je le regarde partir.

LE JUGEMENT

Résultat des courses, après délibération, j’ai 2 000 francs d’amende et trois mois de prison avec sursis.

Mon honneur est bafoué et surtout personne ne m’a cru et personne ne m’a défendu. Seul, écrasé, incompris devant cette immense machine à broyer les individus qu’est la justice (surtout lorsque l’on n’a pas d’argent pour se défendre, bien sûr).

Six mois après, je reçois une lettre de la préfecture de police de Paris qui me demande de payer 29 493 francs pour avoir occasionné une "blessure" à un gardien de la paix qui a eu, pour une vague luxation, 47 jours d’arrêts de travail ...

Conclusion pratique : si vous avez affaire aux flics, fuyez, c’est plus prudent. Ou mieux, faites la révolution et changez la justice !

/source : Indymedia-Paris
http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=24230