« Une révolution pour faire plier la mauvaise France »

bulletin numero 161 - mars 2017


10 mars 2017


« Une révolution pour faire plier la mauvaise France »

RESISTONS ENSEMBLE / bulletin numéro 161 / mars 2017


« Une révolution pour faire plier la mauvaise France »

Ce sont les mots d’Assa Traoré qui parle pour son frère Adama assassiné et pour son frère Bagui emprisonné à Fleury, pour nous et nos enfants. C’est la « bonne France », celle des opprimés, des exploités, des pauvres, des chômeurs, des victimes du racisme de la société, des sans-papiers, de « ceux d’en bas » qui réclament justice et vérité, la fin de la misère sociale, de l’oppression.
À l’approche des élections, le parlement, la justice, les partis politiques s’enfoncent dans le cambouis. L’essentiel des candidats, qu’ils soient de gauche ou de droite, ne visent que le maintien du capitalisme encore plus vorace et dictatorial.
Les lois sécuritaires préparées par la « gauche » donnent au futur régime issu des élections tous les moyens « légaux » pour mettre à bas ce qui reste de droits et de libertés. C’est face au pourrissement de la « mauvaise France » que la « bonne France » d’Assa tente de s’affirmer. Les germes des graines semées par des luttes du passé commencent à apparaître ici et là. Il y a 10 à 15 personnes mortes entre les mains de la police chaque année mais, avant l’assassinat d’Adama, les luttes de solidarité, y compris les émeutes de 2005 pour Zyed et Bouna, n’avaient guère dépassé les quartiers populaires.
Avant cet assassinat et le viol de Théo, il y avait déjà eu des personnes violées, torturées à coups de matraque dans l’anus par des policiers, mais ces actes criminels se sont passés dans un silence presque total.
Alors comment expliquer que depuis quelques mois la réalité des « violences policières » rentre dans la conscience des dizaines de millions d’habitants de ce pays ? Pourquoi ces manifestations déterminées dans les quartiers, ces blocages des lycées qui se répètent ? Pourquoi les calomnies contre les victimes et leurs familles (d’abord celle d’Adama maintenant celle de Théo) comme celles contre les soi-disant « casseurs » ne passent-elles plus aussi facilement qu’avant ? Pourtant la justice et les médias sont toujours à la botte et le fait que la répression, suite à la lutte contre la loi travail, ait touché aussi les centres villes ne saurait tout expliquer.
Ne serait-ce pas parce que la crise de l’État, accompagnée d’une répression impitoyable, a commencé à nous ouvrir les yeux ? Parce que des millions de gens de la « bonne France » se disent que « le roi est nu » ? Que les violences policières et leurs accompagnements judiciaires sont ciblés ? Qu’à l’ombre des flashballs se pointeront demain sur eux les fusils d’assaut ?
Bien sûr, tout est possible mais rien n’est encore gagné, car la bataille de la « bonne France » contre la « mauvaise » est à peine engagée.
Nous sommes à la croisée des chemins. Et on en voit s’en profiler au moins deux. Celui qui mènera vers un régime policier fascisant, l’autre qui suit la marche difficile, tâtonnante des « damnés de la Terre » que les blancs et pas blancs de la « bonne France » traceront ensemble.



> chronique de l’arbitraire

Le viol comme méthode d’interpellation
Personne ne nie la réalité des faits : jeudi 2 février au bas de la cité des 3000 d’Aulnay-sous-Bois, un flic a, en présence de 3 de ses collègues, enfoncé sa matraque téléscopique dans l’anus de Théo le déchirant de 10 centimètres et envoyant le jeune homme, assommé de douleur, à l’hôpital où il restera pendant plus de 15 jours. Théo a donc été violé. Pourtant le TGI de Bobigny, le 5 février, suivant les recommandations de l’IGPN, il requalifie l’acte des flics de « violence volontaire » ; finalement le juge d’instruction retiendra le « viol » pour l’un d’entre eux et seulement les « violences volontaires » pour les 3 autres. Le parquet a fait appel de cette décision : selon les flics, leur avocat et leur syndicat, il s’agit d’une utilisation « à l’horizontale » ou « en piqûre » de la matraque, la pénétration était un « accident » et non un « viol délibéré » (comme s’il pouvait en exister de « non délibérés »). C’est ensuite la connotation sexuelle de l’acte qui a été niée : l’anus ne serait pas un organe sexuel, le flic n’entendait pas obtenir par cet acte un plaisir sexuel. Cela prêterait à rire si la situation n’était pas aussi dramatique et l’enjeu crucial. C’est qu’il s’agit pour la justice de continuer à jouer le rôle qui lui est assigné, garantir l’impunité aux policiers pour qu’ils continuent tranquillement à maintenir l’ordre par la terreur du côté des pauvres qui auraient la mauvaise idée de le contester. En effet, un « viol » est un crime, il se juge en cour d’assise et peut valoir jusqu’à 16 ans de réclusion, la « violence volontaire » n’est qu’un délit jugé en correctionnelle. Alexandre en sait quelque chose, il a subi la même chose que Théo en 2015 à Drancy et son flic violeur devait être condamné pour « violence aggravées », mais, le tribunal a requalifié les faits en viol suite aux mobilisations en soutien à Théo et finalement le parquet a fait appel de la requalification. En réalité c’est la bande son, faite d’insultes sexistes, homophobes et racistes qui dit le plus clairement la vérité de ce crime sordide dont Théo a été victime : « salope », « fiotte à l’anus qui saigne », « bamboula » ... pour ces flics, il s’agissait d’humilier, de meurtrir, d’avilir un noir en s’attaquant à sa virilité. Rien de plus normal dans cette « mauvaise France » (cf édito) qui dure au moins depuis le temps de l’esclavage et de la colonisation.

La BST d’Aulnay : l’exception ou la norme
Ce sont des membres de cette BST (Brigade Spéciale de Terrain) qui sont les interpellateurs de Théo. Depuis, les langues se délient. D’abord celle de Mohamed K., 22 ans, qui a décidé de porter plainte. Alors qu’il assistait à l’interpellation d’un petit de son quartier le 26 janvier il demande aux flics ce qui se passe, il est isolé dans un hall d’immeuble, roué de coups, traité de « sale noir » et de « salope », et , alors qu’il est déjà en sang, ça continue de plus belle dans la voiture qui l’amène au comico. Pendant sa GAV de 24h il sera amené à l’hôpital, 5 jours d’ITT. D’autres jeunes confirment, la BST d’Aulnay serait un ramassis de brutes qui se croient tout permis et racketteraient même les dealers. C’est ensuite au tour d’un policier travaillant dans ce même commissariat de se confier à Médiapart pour se désolidariser de ses collègues : « L’équipe qui est mise en cause dans cette histoire, cela fait des années qu’elle fait ça (...) Ils aiment se battre, casser des gens. » Il explique que ce climat de violence est alimenté par la concurrence que se livrent BST et BAC. « …On les entend parler de leurs interventions, ils en jubilent. ‘‘T’as vu comment j’ai fait le dérapage ?! ’’ (…) Ils s’équipent comme des porte-avions, arborent des petits couteaux à la ceinture, ce qui n’est absolument pas réglementaire… Mais ils s’en moquent, ils se sentent soutenus et protégés. » Il finit par évoquer l’influence de Vincent Lafon le commissaire. Il charge ses flics « d’aller au contact », les accompagne sur le terrain. Le journal l’Humanité a rappelé qu’il avait été condamné en 2008 à un an de prison avec sursis pour avoir couvert (notamment en rédigeant de faux PV) l’équipe de la BAC de nuit parisienne dont il était le chef qui avait tabassé un homme à l’issue d’une course poursuite, le laissant sur le goudron pantalon et slip baissé un cerceau d’enjoliveur entre les fesses.
Il faut rappeler que les BST ont été fondées en 2011, c’est la police de proximité made in Sarkozy pour : « établir un contact plus affirmé auprès de la population » (lire RE 94). Depuis leurs débuts et encore aujourd’hui à Aulnay, les BST ont donc été fidèles à leur mission notamment à Gennevilliers (RE 95), Aubervilliers ou encore Pantin (RE 148 et 160).

Ripostes : la révolte est légitime
La violence de la police n’a rien de neuf, qui plus est dans les quartiers populaires, mais le viol de Théo est le déclencheur d’une vague de révolte qui ne se tarit pas. En voici un aperçu, forcement incomplet. Pendant une semaine Aulnay-sous-Bois est le théâtre d’affrontements violents. La révolte qui gagne d’autres villes en région parisienne, Tremblay-en-France, Clichy-sous-Bois, le Blanc-Mesnil, Stains, Pierrefitte, Bobigny, Noisy-le-Grand, Argenteuil, Drancy… mais aussi à Dijon (Côte-d’Or) ou Angers (Maine-et-Loire).
Le 6 février plusieurs centaines de personne défilent dans la cité des 3000 à Aulnay-sous-Bois. Puis à Nantes, Rennes, Paris, Marseille, Montpellier, Bordeaux… Le samedi 11 plusieurs milliers de personnes se retrouvent devant le tribunal de Bobigny. Là encore comme lors d’autres manifestations, la révolte s’affronte aux flics, mêlant les genres. Un nouveau rendez-vous tourne pour le jeudi suivant, l’Etat choisi de cadenasser toute une partie de la ville : 450 flics déployés, les transports urbains paralysés, compliquant la venue de soutiens extérieurs. L’ambiance est tendue. Des affrontements ont lieu au cœur de la cité Berlioz. Aux tirs tendus et à hauteur de poitrine et de visage du LBD40 répondent des tirs de mortiers…
Le 20 février marque l’entrée des lycéens dans la mobilisation. Le jeudi 23 au matin 16 lycées étaient totalement bloqués, 12 autres partiellement. En fin de matinée des centaines de lycéens se retrouvent à Nation, criant « vengeance pour Théo » ou encore « tout le monde déteste la police », tentant de forcer les barrages policier, la place est plongée dans les gaz lacrymogènes. Les blocages se poursuivent en Ile-de-France (Paris Gennevilliers, Clichy, Courbevoie, Issy-les-Moulineaux Asnières, Blanc-Mesnil…).
Après seulement 12 jours un journal recensait 245 interpellations, dont 236 GAV et ça continue encore le 7 mars avec 55 lycéens de Suger à Saint Denis interpellés et mis en GAV. Du côté de la justice, les comparutions immédiates se comptent par dizaines. Le 8 février 5 majeurs se retrouvent ainsi au TGI de Bobigny. Classique, sauf que cette fois la justice leur reprochait un « délit d’embuscade en réunion ». Autrement dit de s’être rendus dans un lieu, en vue de commettre des violences. Pour ce délit d’« intention », les 3 prévenus au casier vierge écopent de six mois avec sursis, les 2 autres prennent six mois ferme, mais sans mandat de dépôt. En comparaison, 6 mois avec sursis, c’est la peine prononcé contre le flic qui a tué un homme d’un coup de flashball, (voir ci-contre).

L’État s’acharne et la famille Traoré ne se tait pas…
…titrait le RE de décembre 2016. Et ça continue. Bagui, un frère croupit en prison : 8 mois ferme pour « outrage et rébellion ». Mais ça n’a pas suffit pour faire taire la famille Traoré. Bagui, extrait de la prison, a été mis en accusation pour « tentative d’assassinat » contre les flics et gendarmes !
Un rassemblement a eu lieu samedi 4 mars dans le quartier de Boyenval à Beaumont sur Oise (95). Plusieurs centaines de participants ont exigé la « Liberté pour Bagui ! », qui risque la perpétuité. La famille d’Antonin, qui est accusé de « tentative d’homicide volontaire » suite à l’incendie d’une voiture de police le 18 mai, était invitée et a lancé un appel fort : « Nous voulons faire un pont entre nous et les Traoré… Nous, les blancs issus de quartiers favorisés, les bobos du 14e arrondissement de Paris, nous sommes solidaires des Traoré. Certains appellent cela la convergence des luttes. »
Assa Traoré a conclu : « C’est la révolution qui fera plier la mauvaise France, si tout le monde se lève, les quartiers comme la ville, si la population, coupée en deux, arrive à se rassembler. »
Justice et vérité pour Adama, libérez Bagui !

Affaire Wissam : le spectre du non-lieu
Les proches de Wissam El-Yamni ont commémoré les cinq ans du décès de leur enfant, frère et ami lors d’une soirée de soutien qui a rassemblé plus de 200 personnes début janvier à Clermont-Ferrand. L’enquête piétine. Quatre juges d’instruction se sont succédés. Deux flics, d’abord mis en examen, ne sont plus que « témoins assistés ». L’arrestation meurtrière s’est muée en « mort accidentelle », soi-disant causée par un mélange d’alcool et de cocaïne. Alors qu’un toxicologue mandaté par la famille a conclu exactement l’inverse début 2016. Des témoins clés n’ont jamais été entendus par les juges. Les photos qui prouvent que Wissam a été battu ont été trafiquées afin de rendre impossible leur exploitation. Les juges, en décembre, ont refusé toute nouvelle expertise en annonçant que l’instruction était close. Ce refus a été contesté, décision le 4 avril.
À lire : « Établir les responsabilités dans le décès de Wissam El Yamni », rapport d’un observatoire du Puy-de-Dome (OVPI), février 2017 : http://www.justicepourwissam.com

Un mort tué au flashball : 6 mois avec sursis pour le policier !
Mustapha avait blessé un de ses voisins, il a été tué, à Marseille, en 2010 par un tir de flashball : distance de tir non respectée, disproportion par rapport à la menace représentée par la victime (« armée » d’un mug et d’un verre)… Le procureur a demandé 18 mois avec sursis. Résultat : 6 mois avec sursis, sans inscription au casier. Et il y a mort d’ homme....



> Agir

Grand meeting de la Campagne Internationale pour la Libération de Georges Ibrahim Abdallah. Le 18 mars de 17h à 20h à la Librairie Résistances.
info : www.librairie-resistances.com

De nombreuses familles de personnes mortes entre les mains de la police appellent à participer à la Marche de la dignité qui aura lieu le 19 mars et a pour revendication principale cette année, la dénonciation des violences policières. Départ 14h place de la Nation, manif suivie d’un concert place de la République.
International

Pour en finir avec la répression : multiplions les actions
Au Québec Le COBP Collectif Opposé à la Brutalité Policière appel à manifester le 15 mars à l’occasion de la 21e journée internationale contre la brutalité policière. Infos : https://obp.resist.ca/