5 mai 2007


Un sitting face à une arrestation-bavure dans le métro parisien

Paru dans La Lettre Versatile nouvelle série n° 27


Source
LA LETTRE VERSATILE DE JIMMY GLADIATOR
parution aléatoire
nouvelle série n° 27
13 avril 2007

NON LA FLICAILLE N’EST PAS TOUTE-PUISSANTE,
IL SUFFIT DE LE LUI MONTRER !

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Ce vendredi 16 mars 2007 au soir dans le métro a eu lieu une intervention
de la police particulièrement choquante. Le métro de la ligne 4 en
direction de la Porte de Clignancourt venait de quitter la station Etienne
Marcel lorsque l’attention des passagers de la rame, dont la plupart
étaient debout en cette heure d’affluence, fut attirée par la voix forte
d’un homme noir disant : « Vous avez des enfants, vous avez une famille,
vous aussi. Ne faites pas ça. » L’homme en question était habillé d’un
pardessus noir et d’un costume, portait des lunettes et un chapeau assez
chic. Il était accompagné de sa femme et de ses deux filles, dont l’une
était dans une poussette que sa mère tenait. A 20h42, cette famille noire
était donc entourée de quatre policiers habillés de bleu marine et munis
de matraques. Ces agents lui ont demandé plusieurs fois de sortir, ce à
quoi il a répété la phrase précédemment citée tout en restant poli et
plutôt calme vu que la situation devenait de plus en plus tendue. Les
quatre agents le serraient de plus en plus.

Un agent lui a saisi le bras et de là où je me trouvais, je n’ai pu les
voir que de dos. De nombreux coups de coudes accompagnés par des cris
d’intimidation ont été donnés par les quatre agents qui finirent ainsi par
sortir l’homme de force de la rame sans se soucier des coups de coudes
perdus portés malencontreusement à sa femme et à la petite fille dans la
poussette. La femme effrayée et en pleurs s’est accrochée à son mari tout
en tirant la poussette de son autre main. L’homme a perdu ses lunettes que
j’ai pris la peine de ramasser bien qu’elles furent piétinées par les
agents aux gestes très violents.

Il s’agit de la troisième arrestation violente et mal gérée sur des
personnes de couleur à laquelle j’assiste en quelques mois. Pourtant
celle-ci a eu une très nette différence. Là où la foule a toujours accepté
de circuler et de se laisser intimider par les agents, ce soir, des
citoyens de toutes origines ethniques se sont groupés autour de cette
exhibition d’autorité policière. Arrêter une famille en public, brutaliser
volontairement ou non des enfants devant témoins, ça ne peut pas passer.
Nombreux sont ceux qui ont tenté d’entamer un dialogue avec les quatre
agents au sujet de la petite fille dans la poussette, effrayée par les
cris et les coups de bras donnés par les agents. La réponse d’un des
agents fut de nous menacer avec sa matraque en hurlant de nous reculer
puis en sortant une bombe lacrymogène. Des rappels à la raison ont été
lancés aux agents des forces de l’ordre (sic ?) : « il y a un enfant,
n’utilisez pas une bombe lacrymogène » ou encore « ne faites pas ça devant
sa famille ! Vous n’avez aucune décence ? » D’autres faisaient un appel à
la raison « Vous avez une conscience ! Revenez à la raison, arrêtez de les
brutaliser ! » et quelques-uns se scandalisaient « vos méthodes sont
lamentables, c’est une honte ce que vous faites ! » La panique gagnant les
agents, ils ont fait appel à du renfort. Cinq agents supplémentaires sont
arrivés dix minutes plus tard, la foule non violente grossissant à chaque
instant. Des cris de colère contre le racisme et des insultes à l’égard
des policiers furent alors criés par des gens à l’arrière de la foule,
mais elles ne furent pas suivies par le sitting qui faisait front à la
police. « Sarko perd des électeurs ce soir » a lancé une jeune femme
blonde. « Les nouveaux nazis ne passeront pas » a crié un homme en
costume. Parmi les cinq nouveaux agents, un maître-chien qui a menacé de
lâcher son animal sur ceux qui ne reculeraient pas. Au bout de quelques
minutes, ces agents en colère ont poussé la foule avec violence et sorti
les matraques en geste de menace.

Mais la foule n’a pas cédé. Sans lutter, sans haine, cette marée humaine
est restée unie, assistant aux derniers instants de l’arrestation et à la
crise de nerfs d’une jeune femme blanche qui, après s’être penchée sur la
poussette pour protéger l’enfant fut poussée et à reçu des coups avant de
s’être elle-même retrouvée entourée par des policiers. Son portable fut
cassé par un des agents. Etait-ce un geste involontaire ? Durant toute
l’intervention, de nombreuses personnes ont filmé, photographié les
méthodes scandaleuses de cette arrestation catastrophique.

L’identité de l’homme arrêté demeurant un mystère pour les gens présents
tout comme la plupart des agents de la police -qui à la fin de la triste
scène étaient une quinzaine- il est impossible de savoir la raison de
cette arrestation, si cet homme est innocent, suspect ou gravement
coupable. Toutefois, les méthodes violentes appliquées ce soir par les
quatre agents, le manque de professionnalisme, la pathétique gestion de la
situation, les menaces verbales et physiques pratiquées par les agents sur
la foule scandalisée par leur brutalité sur une famille, tout cela est
inadmissible. De plus, des agents encore menaçants et parfois railleurs
rôdaient encore autour des derniers témoins qui tentaient de rassembler
les faits. « Bien sûr, on est policiers donc on est forcément racistes,
vous ne connaissez pas notre métier. » A cette phrase j’ai répondu par ces
questions : « mais savez-vous vraiment ce qui vient de ce passer ?
Connaissez-vous réellement la faute de cet homme ? Ou bien, ne faites-vous
qu’obéir à des ordres sans réfléchir ? » A cela un agent qui marchait à
reculons m’a lancé courageusement la boutade : « Ne
faites plus le 17, on ne viendra pas. » pour recevoir la réponse : « de
toutes façon, vous ne venez jamais, vous êtes occupés à obéir à des ordres
que vous ne comprenez pas ! »

Enfin, un lieutenant qui n’avait pas assisté à l’arrestation a tenté de
prendre les identités des témoins nous a résumé ce qui venait de passer...
alors qu’il était arrivé après l’incident ! La technique, comparable à un
lavage de cerveau, consistait à à nier nos témoignages pour réciter son
scénario : « Cet homme noir s’était fait contrôler, n’avait pas son titre
de transport et avait refusé de sortir de la rame. S’il n’avait pas refusé
d’obtempérer devant les
forces de l’ordre, cela se serait passé plus simplement... » Ce qui est
absolument faux puisqu’il ne s’agissait pas de contrôleurs mais bien de
quatre policiers. Et, qui plus est, personne d’autre que ce père de
famille n’a été contrôlé par ces agents. La jeune femme qui a défendu
l’enfant lui a dit : « Ce n’était pas un simple contrôle ! Moi je suis
blanche, je n’ai jamais été contrôlée et j’assiste tous les soirs à ce
genre d’arrestations sur des personnes noires. » La réponse de l’agent fut
d’une honnêteté inespérée : « On ne vous contrôle pas parce que vous avez
l’air d’être en règle. » Délit de faciès ?

A mon tour de poser les questions : quelle réaction la police
attendait-elle de la foule alors qu’elle arrêtait un père de famille à une
heure de pointe dans le métro ? La police pense-t-elle que ses menaces,
ses coups, sa violence sur une famille et des enfants en bas âge, son
autorité déplacée et son discours de manipulation suffira à changer la
foule en passants qui circulent sans broncher ? Pouvons-nous encore avoir
confiance en la police ? Combien d’arrestations de personnes noires encore
avant que la foule ne change son sitting pacifique en manifestation de
défense violente ?

Alwen Kelek