5 juin 2005


À Montbrison : quelle justice ?

Au procès du gendarme qui a tué Aurélien Joux


Le verdict sera rendu le 16 juin 2005, à 13h30 au Tribunal de
Montbrison.

A Montbrison, dans le Forez, c’est une ancienne église qui, à la
révolution, a été transformée en palais de justice. Mais peut-on encore
parler de justice quand on voit les conditions dans laquelle elle se
rend ! C’est dans ce palais de justice, à Montbrison, que Ravachol été
condamné, en assises, à la guillotine en juin 1892. C’est dans ce même
palais de justice que le procès du gendarme qui a tué Aurélien Joux, le
10 mars 2003, a eu lieu hier, le 19 mai 2005, mais cela ne s’est terminé
qu’aujourdui à près d’une heure du matin. Mais pour cet adjudant chef de
gendarmerie cela ne se passait pas en assises ! Son accusation est
qualifiée d’homicide involontaire, pour avoir tiré sur Aurélien dans le
dos, alors qu’il était menotté, avec un fusil à pompe à à peine plus
d’un métre de lui.

Aurélien avait 24 ans. Il est parti un soir avec un copain et il s’est
fait arrêter au moment où il pensait visiter un hangar. Il a été conduit
au poste de gendarmerie de Feurs où il a reconnu les faits et n’a opposé
aucune résistance. Ensuite, dans la nuit, les gendarmes l’ont
raccompagné à sa camionnette et c’est à ce moment, alors qu’il était
entouré de quatre gendarmes armés, qu’il a été tué d’un coup de fusil à
pompe. Quand on connaît Aurélien, on ne peut rien comprendre. Aurélien
avait été complètement coopérant, n’a rien nié parce qu’il était franc,
pacifique. Pendant deux ans il avait obtenu le statut d’objecteur de
conscience. Au lieu de faire son service militaire, il avait travaillé
pour la collectivité. Pendant deux ans, c’est long, on ne gagne pas
beaucoup de sous, il faut se débrouiller et il l’avait fait. Parce que,
en plus, quand il avait des idées, il les mettaient en application.

On ne peut rien comprendre à ce qui s’est passé, il n’y a aucune raison
pour que cela se soit passé comme cela. Il paraît évident que cela peut
arriver à n’importe qui d’entre nous, et d’autant plus à ceux qui
peuvent paraître comme marginaux, si les pratiques actuelles continuent
de la même manière. A quelques jours d’intervalle, en ce mois de mars
2003, quatre personnes ont été tuées par un policier, un gendarme ou un
douanier : un sans papier à Valenciennes, Mourad Belmokhtar à Durfort,
près de Nîmes, Nicolas Billotet à Lyon-St Rambert l’ile Barbe, et
Aurélien Joux. Lorsque des gendarmes, des policiers interviennent, et
même s’il y a des choses à régler, cela ne peut pas se régler n’importe
comment. Porter une arme oblige à encore plus de compétence, on doit
savoir ce que l’on a entre les mains et on ne peut pas l’utiliser pour
faire n’importe quoi.

Plus de deux ans d’attente pour ce procès, c’est très long pour la
famille d’Aurélien, qui demande des explications officielles, qui
demande paisiblement que justice soit faite, même si cela ne leur rendra
jamais Aurélien. Mais ce n’est pas tout. Ce procès se fit attendre très
longtemps le jour-dit. Convoqué à 14h, on apprit ensuite qu’il se
passerait vers 15h30. En effet il y avait avant, le procès de
FeursMétal, dans le cadre d’un accident du travail grave, qui dura en
fait jusque vers 18 heures, (où l’avocat de cette entreprise plaida
pendant... une heure et demi, en ne faisant que se répéter sans cesse).
Puis, une interruption de séance qui fut assez longue. Ensuite, quand il
s’est agi du procès du gendarme, l’expert en balistique demandé par la
famille d’Aurélien était parti car il avait une autre expertise à faire
en assises à 19 heures. Du coup, comme l’expert n’était plus là,
Marie-Noëlle Fréry, l’avocate de la famille Joux, a demandé le report de
l’audience. Ce fut alors un délibéré de près d’une heure pour décider du
report ou non. En définitive, la décision du jury a été de ne pas
reporter ce procès. Mais il y a eu encore une affaire ou deux qui sont
passées avant le procès du gendarme. Ce qui fait que le procès eu lieu
vers 21 heures, sans que l’expert puisse être interrogé, et pour ne se
terminer que vers une heure du matin !

Cette expertise était primordiale car elle différait énormément des
dépositions des gendarmes. En effet, d’après ces dépositions, le coup
serait pratiquement parti tout seul et on a presque l’impression que
c’est le chien d’Aurélien qui était responsable d’avoir appuyé sur la
gachette. (D’ailleurs ce chien a été exécuté à bout portant
immédiatement après Aurélien. Pourquoi exécuter un chien comme ça qui
pleurait son maître ?) La balistique prouvait une autre version des
faits, d’où, pour la famille d’Aurélien, l’importance de la présence de
l’expert.

Peut-on encore dans ces conditions parler d’une justice sereine, rendue
de plus à une heure du matin ! N’a-t-on pas tout fait pour entraver la
justice, éviter la présence de l’expert en balistique, et épuiser tout
le monde aussi bien l’appareil judiciaire que l’avocate qui doit
plaider, et que la famille et le public. Il faut rendre hommage à
l’avocate, mais aussi à tout le public qui est resté fort tard, même
s’il était moins nombreux. Cependant il est tout à fait indigne de
laisser toute la famille de ce jeune, qui a été tué par un gendarme,
dans l’attente, sans manger et se désatérer, et faire traîner les choses
de la sorte en longueur. La justice a vraiment du mal depuis des années
à ne pas couvrir d’impunité de tels faits criminels gravissimes d’un
policier ou d’un gendarme. Il ne faut donc pas trop s’en étonner même
s’il y a de quoi être scandalisé.

Le procureur recquiert 18 mois de prison avec sursis. Et aucune autre
peine supplémentaire pour ce gendarme "comme tous les autres" (ni bien
noté, ni mal). En plus, aucune peine supplémentaire, comme
l’interdiction du port d’arme, comme une mise à pied professionnelle (le
gendarme continue actuellement à exercer). Ce gendarme s’était habillé
de son habit d’apparat pour l’occasion, c’est comme si, par exemple, un
maire mis en examen allait au tribunal avec son écharpe tricolore...

Le verdict sera rendu le 16 juin 2005, à 13h30 au Tribunal de
Montbrison.

Il y aurait aussi de quoi réfléchir par rapport à cette justice de
classe au travers d’un autre procès qui avait lieu avant celui-là. Jean
Luc Gambiez, le patron de FeursMétal (c’est lui qui voulait faire
retraiter par ses ouvriers les ferrailles radioactives des centrales
nucléaires du Tricastin) et son chef de la maintenance, étaient jugés
parce qu’un ouvrier de maintenance avait été happé par une grosse
machine qu’il réparait. Il s’en est tiré de justesse après un comas et
de graves blessures et traumatismes. L’avocat de FeursMétal, dans son
interminable plaidoirie a même dit qu’il n’était pas utile de mettre des
protections aux interrupteurs des machines, puisque ces protections
auraient été de toute façon démontées ! Et il y aurait surtoutde quoi
réfléchir sur le rôle d’un procureur qui ne peut mettre “évidemment que
du sursis” à un chef d’entreprise, et demande une faible amende pour
l’entreprise parce que si l’amende était trop grosse cela empêcherait
celle-ci de se mettre désormais aux normes de sécurité...