5 mai 2005


Témoignage / Occupation du mercredi 20 avril

Mouvement lycéen


La répression policière et judiciaire qui s’abat sur le mouvement lycéen
en ce moment prend des prétextes chaque fois plus ridicules. J’ai déjà
raconté les conditions dans lesquelles j’ai été gardé à vue pendant
quarante-huit heures, d’autres ont aussi écrits leurs expériences.
J’aimerai maintenant revenir sur les faits qui nous ont valu de se faire
embarquer à près de deux cents par les forces de l’ordre comme des
criminels.

Le rendez-vous de départ de l’action était largement diffusé par tous
les moyens disponibles que se sont appropriés les lycéens : sites
Internet privés, publics, listes de diffusions, bouche à oreille,
chaînes téléphoniques, etc. Les agents en civils étaient d’ailleurs
nombreux et visibles sur la cour de Rome ce matin du mercredi vingt
avril. Les personnes présentes, essentiellement des lycéennes et des
lycéens, attendent le départ de l’action en discutant, en partageant un
encas, ou tout simplement en improvisant une petite sieste sur le
parvis. A un moment les deux ou trois cents personnes présentes se
répartissent en trois groupes, une discussion est menée dans chaque
groupe. Essentiellement des explications sur la nature de l’action qui
devra se dérouler dans le calme, chaque groupe partira à son tour et se
retrouvera sur place. Le but, lors du transfert, est d’être discret dans
le métro, ce qui ne sera pas évident, chaque groupe étant composé d’une
centaine de lycéens, mais ces mots d’ordre seront tout de même suivis,
les lycéens s’attirant très vite la sympathie des usagers des transports
en commun.

Le premier arrêt, Solférino sur la ligne douze.

Suivant toujours les mots d’ordre, tout le monde descend lorsque
quelqu’un crie « c’est ici ! » sur le quai. Tout le monde passe les
barrières et se regroupe sur les marches, à la sortie de la station.
Quand le dernier est passé, tout le monde se met à courir, tout droit
d’abord, puis nous tournons à gauche. Je reconnais le quartier, nous
arrivons par l’arrière sur le ministère de l’éducation nationale, de
l’enseignement supérieur et de la recherche. Quelques agents des forces
de l’ordre nous attendent et des barrières bloquent les accès. Les
premiers rangs se prennent des coups de tonfas et tout le monde fait
demi tour, le but de l’action est une occupation, même si nous sommes en
supériorité numérique, il est hors de question de risquer
l’affrontement. Les jeunes personnes qui composent se mouvement n’ont
pas envie de se faire blesser, ni d’être violent avec les agents de la
force publique. Nous reprenons le chemin du métro et repartons dans la
même direction.

Le second arrêt, Falguière sur la ligne douze.

Nous avons à peine le temps de reprendre notre souffle, sur le quai et
dans le métro, et nous ressortons six stations plus loin. La course est
plus longue jusqu’à l’angle de la rue de Sèvres et du Boulevard Pasteur.
Nous reprenons notre souffle avant d’arriver au but, ce qui nous permet
de nous regrouper, quelqu’un explique qu’il s’agit d’une annexe du
ministère de l’éducation nationale, et que nous allons entrer ici.

L’entrée dans le bâtiment.

L’effet de surprise nous permet en effet de ne trouver aucune forme de
résistance, toutes les portes sont ouvertes. Une fois à l’intérieur, les
mots d’ordre de non violence et de non dégradation sont lancés et
répétés. Puis c’est l’exploration du bâtiment, des personnes partent
faire le tour du bâtiment pour trouver toutes les issues de secours,
d’autres parcourent les salles afin de faire un inventaire du matériel
disponible. Le bilan est assez décevant : l’annexe est complètement
vide, des meubles au rebut sont entassés dans les salles des premier et
deuxième étages, le reste des salles est complètement vide. Seule une
petite poignée de personnel a encore ses bureaux dans une petite partie
du dernier étage. Ils ont toute liberté pour fermer leurs bureaux et
protéger ainsi leur travail en cours. A la réflexion, le bilan n’est pas
si négatif : on ne pourra pas reprocher aux participants de détériorer
des meubles inexistants ou au rebuts, ni de dégrader des locaux
apparemment vidés avant réfection. Les meubles sont assez imposants pour
certains, comme de vieilles étagères assez lourdes. C’est alors que pour
le bon déroulement de l’action, j’ai pu responsabiliser les participants
sur les risques de se blesser en transportant seul ce genre d’objet
encombrant et sur la nécessité de faire attention avec les différentes
portes en verre entassées sans précaution à l’intérieur de certains
meubles. L’intérêt de la répartition des tâches qui se met en place
rapidement à l’intérieur des locaux, permet même de ne pas cogner les
meubles contre les murs et montre à quel point les lycéens sont
responsables et coordonnés dans l’urgence.

L’arrivée des forces de l’ordre.

Au bout de quelques temps les autocars bleus des gendarmes mobiles ainsi
que les autocars des autres brigades d’intervention de la police sont en
place autour du bâtiment. Les portes extérieures ont soigneusement été
bloquées afin de retarder l’action des forces de l’ordre, et les
derniers meubles sont entassés dans l’entrée principale du bâtiment. Les
forces de l’ordre se mettent en place autour du bâtiment afin de tenir à
distance le rassemblement de soutien qui s’est déjà mis en place. Quand
ils décident de rentrer en force, nous montons nous réfugier sur la
terrasse. Une première équipe de gendarmes mobiles passe au dessus des
grilles de l’entrée et commence à dégager tous les meubles empilés. Les
meubles sont sauvagement jetés sur les bords et une voiture garée à
l’intérieure se retrouve avec la vitre du haillon brisée. Les équipes
avancent vers le bâtiment, rentrent par le local du vigile et se
retrouvent à l’intérieur. Des témoins restés au rez-de-chaussée nous
raconteront ensuite avoir vu les agents avec des haches pour forcer le
passage !

L’attente en terrasse.

Les forces de l’ordre ont rapidement monté les étages malgré les
obstacles, et s’arrêtent à l’entrée de la Terrasse. Heureusement que ces
agents sont sous les ordres et que leurs dirigeants ont été assez
clairvoyants pour ne pas ordonner la charge sur la terrasse du sixième
étage ; vu leur état d’énervement, je n’ose imaginer le massacre lors de
la charge et le nombre de jeunes gens qui auraient pu basculer sur la
voie. Le temps s’écoule doucement en terrasse. Des occupants ont eu
l’intelligence de prendre des bonbonnes d’eau au dernier étage afin que
chacun puisse s’hydrater. Cela n’empêchera pas une jeune fille de faire
un malaise sur la terrasse, personne n’est préparé pour pouvoir lui
apporter grand secours, elle est placé en position latérale de sécurité
et des habits sont posés sur elle afin qu’elle n’ait pas trop froid. Les
agents laissent passer une équipe de pompiers, et elle est prise en
charge. C’est la seule personne que j’ai pu voir monter dans un camion
de pompier sur les lieux de l’occupation. Des discussions, siestes et
petits jeux s’organisent sur la terrasse. Le rassemblement de soutien
est de plus en plus important en bas et des slogans sont échangés dans
la bonne humeur. Certaines personnes vont discuter avec les responsables
des forces de l’ordre, et certains demandent à pouvoir sortir. Lorsque
l’on accède à leur demande, les jeunes gens sont fait prisonniers, et
nous les voyons d’en haut se faire fouiller et embarquer dans les cars
prévus à cet effet. Au bout d’un moment, de plus en plus sont fatigués
ou ont simplement envie de repartir. Le rassemblement s’est encore
épaissi en bas, et les caméras des différentes télévisions sont en
place. Il est alors décidé collectivement de se constituer prisonnier.
Je ne reviendrai pas ici sur les multiples humiliations et autres formes
de violence qui ont été subies à l’intérieur du bâtiment ainsi que dans
les quarante huit heures qui ont suivis.

D.